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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
La Base d’Hugues Jallon par Chloé Delaume

Par exemple il faudrait que le peu de monde qui passe ici lise d’urgence La Base d’Hugues Jallon. C’est publié dans la nouvelle collection Récifs aux Editions du Passant Ordinaire. Hugues Jallon est éditeur à La Découverte. Responsable des Sciences Humaines. Il publie de la sociologie normalement, La Base c’est son premier texte de fiction, peut-être son premier rapport à la fiction en étant de l’autre côté de la tranche. Je pense que son approche du monde en tant qu’éditeur de sociologie explique des choses par rapport à La Base. Hugues Jallon est politique, vraiment politique. On n’en a pas beaucoup, des auteurs qui parle du politique. Eric Arlix, Lydie Salvayre, Daniel Foucard. François Bon, bien sûr. Mais lui ça touche plus souvent la politique que le politique, en fait.

Un texte comme La Base, ça fait des mois que j’attendais ça, le vrai saisissement à la lecture, la sensation physique que quelque chose se passe, quelque chose d’à la fois lucide et absolument singulier.

Je ne suis pas très douée pour raconter les histoires, et j’explique aussi bien qu’un fer à repasser. Alors un bon vieux copier coller s’avèrera plus efficace que mes tentatives de résumé : « Au début, il y a Rough Towers, une ancienne plateforme militaire, en Mer du Nord. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un ancien officier de l’armée britannique, en prend possession et y proclame unilatéralement l’indépendance d’un État souverain, pompeusement dénommé " Principality of Sealand ". La Base explore une zone de réalité mal déterminée où il est question de finance et de droit, d’États pirates et d’îles fantômes, du désir d’échapper au monde connu et à ses territoires officiellement clos. Il y est question de la souveraineté des groupes humains et des formes secrètes, fantasques, violentes, que prennent leurs dérives politiques et affectives. »

Evidemment, ce que le synopsis ne dit pas, et c’est logique puisqu’un synopsis ça ne dit jamais rien d’important, ce n’est pas seulement que je ne suis pas douée pour raconter les histoires, c’est surtout que je m’en fous complètement des histoires, le truc capital ne se situe jamais là, c’est toujours l’ailleurs qui fait la différence. Et l’ailleurs, chez Hugues Jallon c’est absolument partout. L’agencement, les techniques narratives, les choix syntaxiques, le dépouillement, les parodies, la construction globale et interne de chaque document qui reconstruit l’intrigue. Parce que c’est du document-fiction, La Base. Et que ce parti pris là n’est pas que malin, ça fait définitivement sens aujourd’hui. Hugues Jallon a une écriture intelligente. On peut dire ça, qu’un auteur a une écriture intelligente, idiote (au sens de pratique consciente de l’idiotie), parfaitement stupide (au sens de pratique consciente du nivellement par le bas) ou complètement putassière (au sens du poil lectoratien). L’écriture, ça s’autonomise assez du corps d’où elle sort pour être elle-même. La preuve Hugues Jallon écoute du Foundou, et c’est étrange que des tympans suçotent du Foundou pendant que la voix interne crache La Base.

Il faut bien comprendre que je ne m’énerve pas pour le plaisir, quand je tente d’égratigner la République Bananière des Lettres. Que c’est vrai que j’ai le temps de le faire, j’insiste là-dessus, j’ai du temps donc comme j’en ai plein je n’en perds jamais. Et puis stigmatiser les choses ça fait aussi partie de mon travail. Je suis fatiguée de n’avoir soi-disant droit de citer que pour mettre en exergue mes croûtes névrotiques artérielles.

La Base fait partie des deux meilleurs livres de la rentrée. C’est clair. Y a Un poisson hors de l’eau de Bernard Comment, un travail sur le phrasé inventif, parfaitement cisellé, endophasique et essouflé, et y a La Base. Bernard Comment, c’est son onzième roman, il a repris la place de Denis Roche chez Fictions & Cie au Seuil, ça fait longtemps qu’il est là, que tout le monde et même ses détracteurs savent parfaitement que c’est un écrivain, doublé d’un monsieur qui bosse très sérieusement, que ce soit au département des fictions de France Culture jusqu’il y a peu ou maintenant au Seuil. Mais Hugues Jallon, au Passant Ordinaire, un document-fiction, vous pensez bien qu’ils ont autre chose à foutre, les journalistes. Ils manquent de référents, le livre est inclassable, y a pas de jolies aventures ni de chouineries de bobo, du coup pas une ligne, nulle part.

Les journalistes ne parlent pas de La Base, par contre ils parlent beaucoup, et on beaucoup parlé de Simon Liberati. Là y a une chouette histoire : "Claude est SDF. Il se rappelle son enfance dans les années 70, de sa petite soeur Marina qui se prostituait, de son mariage avec Nikki, une call-girl qui s’est enfuie. Aujourd’hui, Claude touche le RMI et Marina a disparu depuis 1987. Il évoque alors le seul pouvoir supérieur à l’argent : la beauté malheureusement éphémère.". Un truc pareil, ça leur parle vachement plus, aux journalistes. Le misérabilisme nombrilisme, la justification pseudo esthétique des je préfère ne pas, le champagne qui tourne au vinaigre, voilà qui fait drôlement réfléchir les masses. Si seulement un dixième de l’espace médiatique qui a été attribué à cette Antholgie des apparitions à la con avait été utilisé pour parler de La Base, Paris ne serait plus Paris. Et mon ulcère me lancerait moins, mais ça c’est pas le propos.

Chloé Delaume http://www.chloedelaume.net/r5


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