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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°34 [avril 2001 - mai 2001]
entretien de Christian Boisgontier par Thomas Lacoste
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Pour une autre agriculture


En pleine crise de la production alimentaire, des débats sur les O.G.M. et autres enjeux sur le vivant, quoi de plus important que la parole des paysans qui luttent contre ces pratiques et agissent à une échelle tant locale que mondiale à travers Via Campesina. Derrière une critique radicale des systèmes de production et d’échanges néolibéraux, ils développent une réflexion de fond sur une nouvelle politique agricole et incarnent de nouvelles formes d’action.



Le Passant : On voit un peu partout s’organiser les résistances paysannes. Pourriez-vous revenir sur la création et les objectifs de Via Campesina ?

Christian Boisgontier :Via Campesina a été crée en 1992 au cours d’une rencontre réunissant une vingtaine d’organisations paysannes internationales qui constataient que dans leur pays respectif les dégâts sur les paysanneries relevaient d’une même logique économique. Celle-ci était très claire : l’introduction des questions agricoles dans l’O.M.C. faisait que les importations et les exportations de produits agricoles à bas prix déstabilisaient les paysans qui n’avaient pas les capacités de produire à des prix aussi bas. Il est alors apparu urgent de rassembler toutes ces organisations paysannes pour mettre en commun leurs situations, leurs problèmes et leurs luttes qui, même si elles sont très différentes d’un pays à l’autre, se rejoignent. La globalisation de l’économie fait que les décideurs politiques et économiques veulent globaliser les échanges et c’est la loi du plus fort qui règne en Europe, en Asie, aux Etats-Unis et en Amérique Centrale. Nous avons décidé qu’il fallait absolument que des groupes d’Etats régionaux arrivent à s’organiser pour produire des denrées agricoles mais aussi pour se protéger. Il est très important de réaffirmer que le pouvoir politique doit être aujourd’hui supérieur au droit économique, au droit des multinationales. Cette souveraineté alimentaire que nous affirmons se veut être une capacité régulatrice des Etats qui, dès lors que les importations et les exportations menacent les paysanneries et les consommateurs, doivent pouvoir autoriser la décision politique par rapport aux acteurs du marché. Un débat permanent dans Via Campesina est aussi celui sur la question agraire. Dans de nombreux pays, le combat porte sur la réforme agraire car les paysans n’ont pas accès à la terre, y compris pour nourrir leur famille. Ils migrent alors dans les mégapoles où ils augmentent la pauvreté. La question de la terre est posée un peu différemment en Europe où il ne s’agit pas d’une réforme agraire. Mais il est malgré tout question de l’accès à la terre pour ceux qui en manquent ou qui voudraient s’installer mais qui ne le peuvent pas parce qu’aujourd’hui c’est aussi la loi du plus fort qui règne. Le problème de la France c’est aussi la question de la diminution du nombre de paysans et ça n’est pas acceptable.



On êtes très présents dans tous les grands rendez-vous internationaux, quel rôle entendez-vous jouer dans ces luttes contre le néo-libéralisme ?

Seattle a été l’événement déclencheur de la connaissance de Via Campesina au niveau planétaire, un peu grâce à la présence de José Bové qui s’est identifié comme étant au cœur d’un mouvement international. Il faut savoir que cette internationale paysanne est aujourd’hui très importante car, aujourd’hui, la population mondiale est majoritairement paysanne. La question agricole et alimentaire est donc devenue une question centrale parce qu’à chaque fois que des surplus arrivent dans des pays en voie de développement, c’est la survie des populations qui est mise en cause. Dans nos pays industrialisés, la question agricole n’était pas au cœur de nos préoccupations jusqu’à ce qu’apparaissent, il y a deux ans, des scandales alimentaires de première importance, avec le poulet à la dioxine, la vache folle. Des inquiétudes se sont donc fait jour dans nos sociétés sur les modes de production. A ce moment là, la Confédération paysanne a commencé à intéresser les médias et la société car elle dénonçait les modes de production tout en proposant des solutions.



Dans ces rencontres internationales, vous conversez aussi avec des mouvements de la société civile. Il y a un intérêt à cela, n’est-ce pas ?

Nous nous sommes aperçus que l’agriculture n’était pas le seul secteur touché par la dérégulation des échanges. Et ce n’est pas fini puisque l’O.M.C. et les multinationales veulent continuer à déréguler les secteurs de l’éducation, de la santé, du service public, des marchés publics. C’est tout le devenir de nos sociétés qui est posé par ces évolutions. Nous n’avons pas voulu fermer le combat paysan parce que c’est important de faire front commun avec tous les gens concernés par la dérégulation des échanges et d’organiser la contre-offensive. Après Seattle, la rencontre de Porto Alegre a été le début d’une construction, une construction en marche qui inquiète au plus haut point les acteurs économiques de la planète.



Il semble que la paysannerie ait suivi une sorte d’élan productiviste qui a accompagné pendant longtemps le développement du libéralisme, à part peut être les paysans latino américains qui ont une histoire particulière. Qu’est ce qui fait que vous vous soyez radicalement éloignés de ces thèses ?

Nous n’avons pas changé. Nous sommes sur cette ligne-là depuis les années 1975. La société découvre un mouvement qui existe depuis longtemps, ignoré des médias et des pouvoirs publics, mais qui avait quand même une audience importante auprès des paysans. Même s’ils sont passés par des phases un peu productivistes, la majorité des paysans de la Confédération les a rapidement remises en question car ils en ont mesuré plus que d’autres les inconvénients et les impasses. Ils ont essayé de mettre en œuvre ce qu’on appelle l’agriculture paysanne avec des systèmes propres produisant de la qualité et laissant de la place à des voisins. Nous rassurons la population en disant « cette agriculture folle qui vous inquiète aujourd’hui n’est pas une fatalité. Demain elle peut être différente, s’il y a des politiques agricoles différentes. Et on ne pourra les changer que si vous nous aidez à les changer car le lobby agricole de la FNSEA et de tous les appareils agro-industriels sont tellement puissants qu’on aura besoin de partenaires dans la société civile pour les changer. »

Nous avons prouvé que nos pratiques sont économiquement viables et apportent des réponses en termes d’environnement, d’emploi et de qualité. La contestation actuelle des règles du jeu de la politique agricole commune nous paraît porteuse d’un grand espoir. Cette résistance d’aujourd’hui devient l’espérance de demain. Demain, pas dans dix ans. Nous sommes confrontés à une urgence parce que le libéralisme continue à faire des dégâts et chaque jour, chaque mois de perdu, c’est un peu plus de dégâts faits à l’agriculture et l’alimentation.



Pour rester sur ces rendez-vous internationaux, quel regard portez-vous sur le mouvement chiapanèque et sur cette audacieuse marche des zapatistes mexicains ? Quels liens vous unissent ?

Je pense que la révolte des Indiens est complètement légitime comme celle des « sans terre ». Cette cohabitation entre la pauvreté et la richesse devient insupportable dans des pays où le pouvoir politique pourrait très bien redistribuer la terre qui est un enjeu de survie pour tous ces gens-là. Cette montée du sous-commandant Marcos sur Mexico pour arriver à trouver une solution durable pour ce peuple indigène du Chiapas nous paraît quelque chose de très positif mais en même temps, le lobby des tenants de l’économie marchande va tout faire pour que le Président de la République ne rencontre pas Marcos. Le soutien international à ce mouvement reste important et José Bové y est allé parce que les combats paysans ne sont plus des combats locaux mais des combats globaux. Si on peut aider les Mexicains aujourd’hui, ils nous aideront demain sur la question des O.G.M. ou des échanges. C’est vraiment un combat global parce que le monde de l’économie est un monde global.



Au moment où nous assistons à ce phénomène aberrant d’autocontamination par la nourriture, quelle est votre analyse de la crise actuelle de l’alimentaire, quelle responsabilité imputez-vous à ce système ultra productiviste ? Comme par hasard, on voit naître ce phénomène en Angleterre, le pays européen le plus libéral.

En ce qui concerne l’E.S.B., la seule explication c’est que depuis 1995, l’agriculture est rentrée dans la règle du jeu de l’O.M.C. où chaque pays a l’obligation d’ouvrir ses frontières à l’espace international à hauteur de 5%. Ce qui veut dire que les décideurs économiques ont voulu faire baisser les prix agricoles de façon très importante. La réforme de la P.A.C. a fait baisser les prix avec des aides directes aux paysans, mais ça n’a pas suffi. Chaque acteur économique, en Bretagne, en Belgique ou aux Pays-Bas, se demande en permanence comment il va arriver à être le meilleur pour vendre sa production sur le marché international. Les boues de stations d’épuration dans les aliments pour volaille, les huiles frelatées, n’avaient pas d’autre objectif que de gagner quelques centimes sur le coût de l’aliment. Les farines de viande contaminée anglaises, qui étaient interdites là-bas, ont été importées par des fabricants français d’aliments du bétail qui sont connus aujourd’hui et ne sont pas inquiétés. Cette compétition au plus bas coût est directement responsable de l’insécurité sanitaire des aliments. Cette course est suicidaire pour tous, y compris pour les paysans. Ce sont les règles du jeu de la politique agricole qu’il faut absolument changer.



A l’époque où le monde agricole courbe l’échine, vous affichez publiquement votre colère et parallèlement l’Etat semble vouloir durcir sa lutte contre votre syndicalisme interventionniste. Quelle est votre réflexion au moment où José Bové vient d’être condamné à la prison ferme et est-ce que celle-ci va transformer votre système de lutte ?

La condamnation de José Bové est injuste et disproportionnée. Il faut savoir que les dégâts commis par d’autres paysans et orchestrés dans le lobby FNSEA sont, eux, impunis. Le combat de la Confédération dérange parce qu’il pose les bonnes questions. Quand José Bové et ses compagnons de la Confédération ont été démonter un Mc Do parce que l’Union européenne était condamnée pour son refus d’importer des viandes bovines hormonées, on ne s’adressait plus à l’Etat mais aux acteurs économiques. Le monde de la justice est aussi issu de ce monde des puissants, du monde de l’économie. Ils ont un respect absolu du droit de propriété et dès lors qu’on y touche, ils rendent des jugements disproportionnés.

Ce qui nous paraît important, c’est d’organiser la mobilisation pour refuser les sanctions parce que notre combat, s’il n’est pas légal, il est légitime. Les agriculteurs ont décidé d’aller en cassation parce qu’il y a des vices de procédure évidents, et si la cassation ne donne pas satisfaction, nous irons à la Cour de justice européenne. Nous allons utiliser toutes les procédures juridiques pour arriver à démontrer que le combat de la Confédération est peut-être d’avant garde, mais c’est un combat pour l’humanité. Depuis Millau, nous avons un comité de soutien très large qui compte une quinzaine d’organisations, y compris des grandes organisations syndicales. Il faut élargir ce front pour que ce soit l’ensemble de la société qui demain porte ce combat-là. Le pouvoir politique assiste en spectateur au combat entre les victimes et les tenants du monde de l’économie et c’est dramatique.



Que pensez-vous des enjeux actuels autour de la brevetabilité du vivant, et des projets d’appropriation ce patrimoine universel ?

Là aussi, les mêmes causes entraînent les mêmes effets. Le souci permanent des marchands de la planète est de gagner de l’argent. Leur nouvelle stratégie, c’est de breveter tout ce qui peut être breveté alors qu’il y a des choses considérées comme le patrimoine de l’humanité, y compris des plantes. Le gros problème de l’Inde, par exemple, qui renferme 70% de la biodiversité mondiale c’est de protéger des plantes connues pour leurs propriétés médicales et utilisées par les populations pour se guérir. Il faut absolument s’opposer à ce brevetage des plantes, y compris sur les découvertes qui empêchent aujourd’hui des populations pauvres d’accéder à des médicaments même génériques. Si on ne gagnait pas sur ce terrain-là, on instaurerait une planète à deux vitesses et ça n’est pas acceptable.



Le 17 avril, Via Campesina organise une grande journée internationale de lutte contre les O.G.M. Pouvez-vous nous en dire plus et appelez-vous la société civile à vous rejoindre pour cette journée ?

Il y a cinq ans à la même date, dix-neuf paysans syndicalistes ont été assassinés au Brésil. Via Campesina a décidé d’organiser une journée annuelle de lutte en leur mémoire. Cette année, les thèmes que nous avons retenus incluent le combat contre le dumping, c’est-à-dire l’exportation des produits agricoles à bas prix sur le marché international. L’Europe, en particulier la France, a choisi la question des O.G.M. car cette technologie est aujourd’hui totalitaire. Même ceux qui n’ont pas choisi les O.G.M. sont victimes du choix de leurs voisins parce que le pollen des plantes circule avec le vent et les insectes. Il faut rappeler qu’ils n’apportent rien en termes de revenus pour les paysans, ni en terme d’amélioration de la qualité pour les consommateurs. Le seul objectif des multinationales, c’est de rendre un peu plus dépendants les paysans par rapport à de nouvelles semences qu’ils seront contraints d’acheter tous les ans parce qu’elles ne peuvent être réutilisées.

Cette journée sera peut être une journée de destruction d’O.G.M. car, même si le combat a été bien relayé dans l’opinion publique et par les média, il ne doit pas s’arrêter. Demain des sociétés comme Monsanto peuvent repartir à la charge en proposant les O.G.M. de deuxième génération comme des O.G.M. présentables. Toutes les personnes qui pourront participer à la journée du 17 avril doivent faire un effort pour se joindre à ce mouvement dans les régions et dans les départements. Nous avons aussi un projet de rassemblement devant Génoplantes qui est la structure de rencontre entre la recherche publique et les sociétés privées où des partenariats relativement inquiétants vont conduire des chercheurs à effectuer des travaux qui ne sont pas forcément d’intérêt public mais qui vont dans le sens des attentes de la société. Nous voulons contester Génoplantes qui nous paraît dangereux et source de nouveaux problèmes pour la société.

La P.A.C. est également contestée par de nombreux pays et c’est très important que l’ensemble des consommateurs conteste aussi ces politiques agricoles qui ont favorisé l’industrialisation des modes de production, la dégradation de l’environnement etc. La Confédération envisage d’organiser un très grand rassemblement en France en 2002 ou 2003 pour exiger des hommes politiques qu’ils remettent à plat les règles du jeu de l’agriculture et, si la pression sociale est suffisamment forte, ils y seront contraints. Si ce rendez-vous réussit, le lobbying agricole aura changé de côté.

Christian Boisgontier est représentant de Via Campesina, secrétaire national de la Confédération paysanne et membre du bureau exécutif de la Coordination Paysanne Européenne.
Thomas Lacoste

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