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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
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Sud-Nord-Sud, le climat se réchauffe

Conte véridique
Sud-Nord-Sud, le climat se réchauffe

Conte véridique



Par Bertrand Larsabal



Un riche bien nanti dit à un ambitieux qui veut devenir riche à son tour : « Qui paie ses dettes s’enrichit. »

L’ambitieux répond : « Comment puis-je m’enrichir si, pour rembourser ma dette, je suis obligé de m’endetter de nouveau ? »

Le riche hausse les épaules : « On voit bien que tu es un novice. Tu n’as qu’à faire comme moi : tu prêtes. »

L’ambitieux : « Mais à qui ? »

Le riche : « Retourne-toi, il y a un pauvre derrière toi et il veut emprunter ; prête-lui. »

L’ambitieux : « Je lui prête ou il m’emprunte ? »

Le riche : « C’est pareil. Tu me fais perdre mon temps et tu vas me devoir davantage. »

L’ambitieux, ahuri : « Pourquoi ? »

Le riche : « Parce que le temps, c’est de l’argent. On ne te l’a jamais dit ? »

L’ambitieux : « Non. Le temps fait de l’argent ? »

Le riche : « Oui, à condition qu’un pauvre travaille pendant ce temps-là. »

L’ambitieux : « Je croyais qu’on ne prêtait qu’aux riches. »

Le riche, agacé : « On prête aux riches qui ont beaucoup de pauvres travaillant pour eux et à certains pauvres qui travaillent deux fois plus. »

L’ambitieux : « Mais ce que produisent les pauvres leur appartient. »

Le riche : « Non. Si tu as prêté à un pauvre pour qu’il travaille, ce qu’il produira nous reviendra. »

L’ambitieux : « J’ai compris à qui il faut prêter. Mais avec quoi ? »

Le riche : « Je te l’ai déjà dit : je te prête. »

L’ambitieux : « Mais toi, d’où tiens-tu ce que tu me prêtes ? »

Le riche, exaspéré : « Tu ne comprends donc rien ! J’ai connu des pauvres avant toi ! Mais il y en a encore. Dépêche-toi, sinon je vais les prendre. Et puis, tais-toi maintenant car ils pourraient nous entendre. »



Acte II



L’ambitieux rentre d’un voyage dans le Sud de la planète. Il retrouve le riche en discussion avec trois personnages importants : le Banquier Mondial, l’Organisateur Mondial du Commerce et M. Camdessousdetout, directeur de la Folie Monétaire Internationale.

L’ambitieux : « J’ai rencontré beaucoup de pauvres, mais la plupart refusent de travailler pour moi et se satisfont dans les campagnes des maigres revenus tirés de leurs terres. »

Le riche, riant aux éclats et se tournant

vers ses trois éminents interlocuteurs : « Messieurs, pouvez-vous faire quelque chose pour notre jeune collègue ? »

L’Organisateur Mondial du Commerce : « Les négociations internationales sont bien engagées et nous avons bon espoir d’abolir toutes les protections douanières dont bénéficient les paysans des pays en voie de développement. »

L’ambitieux : « Certes, mais cette abolition concernera le monde entier et elle ne me donnera pas davantage la possibilité d’utiliser l’immense réserve de main d’œuvre du Sud. »

L’Organisateur Mondial du Commerce : « Détrompez-vous. Le paysan péruvien qui voudra vendre son sac de riz sur le marché mondial ou le paysan thaïlandais qui voudra faire de même avec son manioc ne le pourront pas car ils seront concurrencés par les grands producteurs américains et européens qui produisent intensivement, à moindre coût, et qui bénéficient de grosses subventions. Ils seront donc ruinés et devront émigrer vers les grandes mégalopoles où vous n’aurez plus qu’à les récupérer dans les bidonvilles. »

L’ambitieux : « Je crains que cela ne suffise car les pauvres des favelas se contentent de peu, les centres médicaux leur dispensent des soins gratuits et leurs enfants vont à l’école publique. »

Le Banquier Mondial : « Vous avez raison. C’est encore fréquent. Mais, avec Son Excellence M. Camdessousdetout, nous exigeons de la part des pays pauvres la diminution de leurs dépenses publiques et sociales contre l’octroi de prêts internationaux. Tout nouvel emprunt est conditionné par la mise en place d’un Plan d’Ajustement Structurel qui, je ne vous le cache pas, est un Plan d’Anéantissement Social. »

L’ambitieux : « J’en ai entendu parler, mais avez-vous des résultats ? »

M. Camdessousdetout, le Fou Monétaire international : « Nous réussissons au-delà de nos espérances. La dette du tiers-monde a ainsi pu progresser et atteindre 2500 milliards de dollars, ce qui ne manque pas de procurer des revenus aux banques occidentales dont vous êtes sans doute actionnaire.

L’ambitieux, plein de zèle : « Oui, j’ai revendu mes placements éthiques. »

Le Banquier Mondial, ricanant : « Avec un bénéfice, j’espère. C’est plus moral. »

M. Camdessousdetout : « C’est plus moral en effet : si l’on enrichit beaucoup les riches, cela relève davantage le niveau moyen mondial que si l’on accorde quelques aides aux pauvres qui n’ont que peu de besoins et qui sont de toute façon trop nombreux. Jugez plutôt nos résultats : le taux d’inscription dans les écoles primaires a diminué dans les pays africains ayant appliqué nos plans et le taux de mortalité infantile a augmenté de 54% en Zambie au début de la décennie 90. »

L’ambitieux, l’air surpris : « L’ajustement, c’est donc différent de la justice ? »

Le riche reprend la parole, goguenard : « Ajuster, en économie, signifie broyer. Et structurel signifie social. Ajuster le structurel, c’est donc broyer le social. »

Le Banquier Mondial : « Ces réformes sont nécessaires. Les salaires doivent rester faibles au Sud car les fonds de pension doivent pouvoir ramener des profits pour payer les retraites au Nord. »

L’ambitieux, de plus en plus soucieux : « Ne craignez-vous pas un mouvement de révolte ? »

M. Camdessousdetout : « Rassurez-vous, notre équipe de communication prépare un clip sur la mondialisation à visage humain. »

Le Banquier Mondial : « Et puis les propriétaires de latifundias ont suffisamment de pistoleros pour parer au plus pressé si les occupations de terre se multiplient. »

Le riche s’est approché de la fenêtre et annonce : « Messieurs, nous allons devoir interrompre notre réunion car j’entends une clameur monter de la rue. »



Acte III



Charivari, carnaval, manifestation, forum social, naissance d’une Internationale citoyenne, populaire, sociale, multicolore. Musique, musiques, culture, cultures, débats, élaborations de chartes, résolutions, propositions, imagination… De la vraie politique.

Un Sans Terre : « Les peuples ont le droit de se nourrir comme ils l’entendent. De manière autonome, sans dépendre des fournisseurs de semences et sans OGM. »

Un Africain : « Les pauvres doivent pouvoir se soigner quand les médicaments existent. La santé passe avant le profit des multinationales pharmaceutiques. »

Un enfant bengali : « Nous voulons apprendre à lire et écrire au lieu d’être réduits en esclavage. »

Un artiste chantant : « Loft story est à la culture ce qu’Elisabeth Tessier est à Copernic, Galilée et Kepler. »

Un instituteur VIe République : « Le libéralisme, c’est la liberté pour le capital ; la liberté, c’est la liberté pour tous. »

Une ouvrière thaïlandaise : « Salaires de misère, Nike nous fait la guerre. Les pieds gauches des chaussures sont fabriqués au Vietnam et les droits en Chine. Il nous reste les lacets. »

Un licencié de Danone : « Quand l’emploi s’affaisse, le capital s’engraisse car ceux qui travaillent encore travaillent plus vite. »

Une salariée de Moulinex : « Ils m’ont volé mon travail et ma vie, et ils ont prétendu faire mon bonheur avec des gadgets de merde. Le temps est venu de les exproprier. »

Un syndicaliste du (de) Sud : « Derrière la spéculation en temps réel, il y a l’exploitation à temps complet ou à temps partiel. »

Un porte-parole du Nord : « Un autre monde est possible. Taxons la spéculation et supprimons les paradis fiscaux. Ainsi, les enfers sociaux régresseront. »

Un délégué du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde : « Les pauvres ont déjà remboursé plusieurs fois leur dette. Qui annule sa dette relève la tête. »

Un écologiste plus rouge que vert : « Ça va chauffer sur la planète. Profitons-en : brûlons les stocks-options et toutes les actions ; c’est une obligation. »

Tandis qu’un ministre des finances bien de chez nous qui ne peut accéder à la salle de conférence s’indigne : « Mais que fait la police ? », un ex-ministre spécialiste des coups tordus aux immigrés tente de prendre la tête du cortège et murmure : « Je suis là, aujourd’hui j’infiltre, demain j’expulse. »

Non loin, un expert cravaté fait la leçon : « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : il peut y avoir une bonne spéculation. »

Un perroquet chroniqueur économique matinal : « Je dirais même plus : toute spéculation n’est pas mauvaise en soi. »

Un clown au nez écarlate et aux yeux émeraude approuve : « C’est vrai : parions sur la fin des spéculateurs. »

Le cortège passe devant un moulin au pied duquel Don Quiattaque, le contestataire à la triste figure, déclame :

« De mon bras décharné, je répare les torts

Et mon masque souffrant trahit ce lourd effort.

Braver le capital est la quête de sens

D’une vie accomplie, aussi riche que dense.

Je préfère en ce jour bien plus être qu’avoir,

Posséder l’énergie du matin jusqu’au soir

De dissiper mirages et funestes illusions

Qui contractent les cœurs et brouillent les visions.

La Bourse anthropophage et le gouffre à pension

Ne peuvent procurer qu’une piètre émotion

A ceux qui s’imaginent entourés de trésors

Et qui ne savent pas qu’ils sont tous déjà morts

Pour avoir projeté de battre à l’unisson

Des yoyos financiers et des pièges sans nom.

De ma main tremblante de faux guérillero,

J’écris l’ultime page et cherche un dernier mot… »

Comme un écho lointain, un économiste aux pieds nus dont la voix usée se perd un peu dans la cavalcade répète : « L’économie est un sport de coups bas ; il faut choisir entre la bourse et la vie. »

A suivre…


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