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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°38 [janvier 2002 - février 2002]
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Le Legs de l'exclusion


Vers la fin de My own private Idaho, d’un certain point de vue l’un des films les plus touchants offerts par le cinéma américain dans les années 90, River Phœnix reprend l’attitude typique de James Dean dans Rebel without a cause. Si l’on reconnaît plus particulièrement un geste – un bras replié derrière la tête et l’autre jeté en avant –, l’ensemble du film de Gus Van Sant renvoie de façon explicite à l’acteur du film de Nicholas Ray : même tenue vestimentaire avec le blouson rouge et le jean, même propension à montrer le corps cassé ou démantibulé du comédien (Dean affalé sur la chaise du commissariat, allongé sur le canapé de ses parents ou mimant l’apnée au fond de la piscine vide et abandonnée ; Phœnix accroupi et prostré, étendu au cours de crises de narcolepsie, rejeté en arrière en une grotesque contorsion durant les obsèques…).

Il ne faut pas y voir une simple référence, ou la revendication d’une filiation ; ni même un rapport d’affection (comme lorsque John Wayne adoptait la pose caractéristique de Harry Carey à la fin de The searchers). Une obscure généalogie relie ces deux films qui, à un peu plus de trente-cinq ans d’intervalle, traitent du désarroi et de l’errance de quelques jeunes, hier étudiants franchissant les limites de la délinquance, aujourd’hui hustlers s’adonnant à la prostitution masculine et à l’usage de stupéfiants. La transmission qui s’opère de l’un à l’autre des films est lisible dans la permanence de quelques symptômes : le sentiment d’avoir à tout affronter en même temps (famille, police, société), le traumatisme comme moteur de la quête de soi, l’esseulement comme perte… Le corps de Mike Waters (Phœnix) qui gît victime des crises de sommeil spontané, comme celui de Jim Stark (Dean) qui s’abandonne sur l’asphalte luisant près d’un jouet, postulent d’une extrême fragilité du rapport au réel. Il en va d’une vulnérabilité, doublée peut-être d’ingénuité, reliant encore Dean à Phœnix, lorsque le premier disparaît d’un excès de vitesse et le second d’un excès de consommation.

Du coup, il apparaît que la société américaine transmet de génération en génération sa propension à sécréter de la marginalité. Ce curieux legs, dans la société (industrielle) de l’efficiency (une forme de dégénérescence de la vieille self-reliance), installe une marginalité devenue endémique. Les personnages interprétés par James Dean et Natalie Wood pouvaient mimer le monde adulte dans une maison abandonnée, le rite du passage à l’âge adulte allait de toutes manières s’accomplir au bout de la nuit, par-delà des événements dramatiques. En revanche, le jeune ado joué par River Phœnix ne peut s’extraire d’une communauté de squatters et rentrer dans le rang, comme son compagnon d’errance (Keanu Reeves). Le comportement ordalique de la bande n’est alors que désespoir menant au délire.

Légataire de toute une tradition du rejet, Phœnix est montré en piéta, étendu dans les bras de sa mère ou dans ceux de Reeves, gisant au sol dans l’évasion d’un sommeil paradoxal, comme si la déposition de son corps devenait la métaphore d’une décomposition du corps social. Le réalisateur l’entoure d’une profonde tendresse (caméra sensuelle, proximité des corps, échappées oniriques ; peu de cinéastes, dans une période récente, ont ainsi approché amoureusement les exclus : Carax, peut-être, dans Les amants du Pont-Neuf), ne pouvant rien offrir d’autre à son personnage : inanimé et dépouillé de tout, celui-ci peut alors être ramassé par on ne sait qui sur une route fuyant vers l’horizon, cependant qu’une pedal steel guitar s’immisce sur la bande-son pour jouer America the beautiful…


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