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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
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A l’Est comme à l’Ouest : quelle Europe ?


L’élargissement à l’Est de l’Union européenne est pour les gouvernants de celle-ci un enjeu idéologique cachant le désastre social produit par dix ans de politiques libérales dont ont bénéficié dans ces pays les nouvelles élites souvent issues de l’ancienne nomenklatura.

Pourtant, face au capitalisme sauvage et aux rapports de domination qu’impose l’UE dans sa périphérie (vers le sud et l’est), l’adhésion à l’UE y est (encore) perçue comme apportant des droits. Ceux-ci sont fragilisés et limités notamment par la politique d’austérité budgétaire et de concurrence marchande primant sur les droits humains. Du nouveau à l’Est ? Hier, il y avait des droits sociaux sans droits politiques ; aujourd’hui, c’est l’inverse. Et c’est pourquoi le choix d’être ou pas membre de cette construction est complexe. Il l’est aussi pour les peuples des actuels Etats membres.



Un désastre social



Après la chute du Mur de Berlin, la « réunification du continent » a été pré-sentée comme un tournant historique ou « la fin de l’histoire » marquée par le triomphe du « modèle » libéral. Celui-ci était supposé apporter efficacité et libertés, contre le bureaucratisme des Etats et la dictature du parti unique. Les privatisations et la remise en cause des protections sociales et nationales ont été assimilées à un « modèle » universel. Le rejet de l’ancienne dictature du parti/Etat se réclamant du socialisme a été d’emblée assimilé à l’adhésion nécessaire aux recettes libérales.

Or celles-ci ont été imposées sans réel choix démocratique. En se disant « socialiste », l’ancien régime régnait sur le dos des peuples en prétendant faire leur bonheur ; aujourd’hui, en se proclamant « l’Europe », l’UE se construit en grande puissance arrogante prétendant apporter la civilisation. Elle a ainsi joué un rôle majeur dans la conduite des politiques de privatisations forcées et de démantèlement des anciennes protections sociales et nationales en Europe de l’Est.

Tous les pays de cette région ont subi une dégradation sociale majeure, y compris les candidats supposés satisfaire aux « critères de Copenhague » établis en 1993 par la Commission européenne : loin d’être en mesure de faire face sans protection à la compétition marchande, ils ont tous des déficits commerciaux considérables avec l’UE, illustrant de nouvelles dépendances et dissymétries ; comme toujours, les investissements directs étrangers se con-centrent dans les régions les plus riches, essentiellement les capitales, creusant les écarts entre pays et au sein de chaque pays ; et la domination absolue des ban-ques des pays candidats par le capital étranger depuis la fin de la décennie 1990 signifiera de moins en moins de crédit pour les services publics qu’il s’agit de privatiser et pour les grandes entreprises qui incorporaient le plus de protections sociales non monétaires dans l’ancien régime. De leur côté, les « aides » euro-péennes ont la même logique que les crédits du FMI assortis de « politiques d’ajustement structurel » désastreuses. Le chômage dépasse plus de 15% en moyen-ne, mais plus 25% dans certaines régions. Il ne faut alors pas s’étonner de la montée d’un rejet aux accents nationaliste et xénophobe de ces politiques.

Mais, dans l’UE, on dénonce simplement la corruption et les montages financiers opaques, comme s’ils étaient simplement le produit du bureaucratisme passé ou l’apanage de « marchés émergents ». Pour-tant, quand l’accumulation d’argent de-vient un but en soi (quel que soit le do-maine où se « place » l’argent), quand tout se vend et doit pouvoir se vendre,

les comportements mafieux deviennent « normaux ». Quand les dirigeants des pays de l’Europe de l’Est sont jugés comme « démocratiques » et reçoivent des crédits s’ils adhérent aux programmes de privatisation généralisée, il est rationnel… qu’ils y adhèrent et s’en mettent au passage plein les poches.

Le bilan désastreux de dix ans de telles « transformations systémiques » est à met-tre au passif des institutions et idéologues propageant ces recettes et de ceux qui, au sein des pays concernés, les ont utilisées à leur profit.

Mais tout est fait pour cacher ce bilan. Le choix des dirigeants de l’Union sera de faire en sorte que, si blocage il y a, il semble venir plutôt des nouveaux candidats et de leur « résistance » à un « bon modèle » et non pas des effets de la politique de l’UE. Les peuples des pays candidats sont en position de très grande fai-blesse, confrontés à un capitalisme sauvage qui profite, au non de l’ajustement à « l’acquis communautaire », du démantèlement de toute protection sociale et nationale.

Nous devons au contraire, de l’intérieur de l’UE, exiger des bilans et l’arrêt de politiques qui créent de plus en plus de pau-vres, donc de migrations clandestines désespérées, de prostitution et d’emplois inhumains exploités par un patronat en quête de travail précaire.

De même que la mise en place de l’euro a tenu lieu « d’avancée », sans droits soci-aux, l’élargissement se produira de façon institutionnelle (participation aux élections de 2004) en camouflant le désastre des politiques libérales appliquées depuis dix ans.



Les peurs suscitées par

l’élargissement et l’ambiguïté des choix



Les transformations en cours en Europe de l’Est sont exploitées par un patronat utilisant les menaces ou réalités des délocalisations d’usines « tournevis » du sud vers l’est pour abaisser les « coûts salariaux » ; de même, cherche-t-il à met-tre en concurrence des populations à bas salaires et les moins organisées (notamment les femmes) entre elles. Telle est la logique de la construction d’une « Europe puissance » sur des bases libérales. Le pourtour méditerranéen et l’Europe de l’Est sont transformés en zone de libre-échange subordonnée aux intérêts des multinationales du centre dominateur imposant dans sa « périphérie » la sup-pression de toute protection.

Pourtant, bien qu’ayant été un accélérateur de la mondialisation libérale en Europe, l’UE est (encore) perçue comme incorporant les plus grands acquis des luttes sociales passées et comme un possible modèle alternatif à la mondialisation sous hégémonie étasunienne. Les éléments de démocratie (parlement) et de fonds budgétaires qu’elle incorpore la dis-tinguent d’un simple accord de libre-échange. D’où l’apparent paradoxe d’une construction qui, tout en étant le vecteur des politiques libérales, se présente aussi comme un enjeu, très incertain, mais ouvert à d’autres politiques possibles de résistance à l’actuelle mondialisation.

D’où l’ambiguïté des perceptions de l’UE – et les hésitations légitimes à son égard. Il peut y avoir dans les pays candidats un « oui » libéral à l’Union, mais aussi un « oui » désespéré associé au sentiment qu’hors de l’Union c’est pire encore, car dans l’union demeurent quelques droits acquis en lieu et place du capitalisme sauvage qui s’impose en Europe de l’Est ; il peut enfin y avoir un « oui » critique de la construction libérale et non démocratique de l’UE visant à rejoindre le combat pour une autre Europe…

Symétriquement, il peut aussi y avoir un « non » anti-européen xénophobe et chauvin ; mais aussi un « non » critique des effets de la politique de l’UE et estimant qu’il est préférable d’y résister de l’extérieur.

Le choix est loin d’être évident. L’a-t-il été (et l’est-il) pour nous ? Au sein des Quin-ze, le vote « contre » l’élargissement peut s’accompagner d’arguments venant de la droite comme de la gauche (et de leurs extrêmes) pour des raisons opposées…

Une partie de la droite libérale (notamment britannique) voudrait utiliser l’élargissement pour transformer l’union en un vaste marché libéralisé. Cette tendance existe et se traduira par la logique de baisse des fonds structurels et de réforme de la politique agricole commune (PAC) dans un sens libéral. Mais ces logiques sont à l’œuvre et nous devons les combattre, avec ou sans élargissement. L’Europe de l’Est sert d’ailleurs déjà de marché non protégé.

En même temps, l’élargissement est de plus en plus présenté comme le seul contre-feu à la montée des courants natio-nalistes xénophobes et anti-européens en Europe de l’Est. Et l’on tend à mobiliser des sentiments de solidarité envers des po-pulations plus pauvres.

Nous pouvons/devrions être les plus offensifs et cohérents dans l’expression d’une telle solidarité, tout en dénonçant la logique en réalité non solidaire des politiques économiques menées en pratique et l’hypocrisie des enjeux cachés de cet élargissement.

L’inconsistance des discours libéraux sur la réunification « historique »

du continent



La logique politico-économique des gouvernants de l’UE sera celle du bricolage et des compromis pour que la con-struction « aille de l’avant », mais au moindre coût pour l’Union.

Dans le court terme, cela signifie que les nouveaux membres pourront participer à l’élection du parlement européen de juin 2004, sans avoir les mêmes droits que les actuels membres, ce qui renforcera les frustrations et les arguments xénophobes chez les pays candidats. En fait, les actuels débats financiers et budgétaires montrent le peu d’ambition et de cohérence des dirigeants qui parlent d’une « réunification historique du continent ». L’agenda 2000 (fixant les dépenses pour la période 2000-2006) avait fixé de ne pas dépasser 1,27% du PIB de l’Union. En dépit de l’élargissement, cela sera respecté : on ne donnera pas les mêmes droits aux nouveaux candidats qu’aux Etats membres (25% des aides directes de la PAC). La tendance à l’égalité des droits sera appliquée à l’horizon 2013, mais sans augmenter le budget. Donc, il faudra prendre sur les Etats du Sud (l’Espagne notamment) pour donner à l’Est et, plus largement, revoir la logique de la PAC et les critères d’allocations des fonds structurels (qui représentent avec la PAC 80% du budget européen)… dans le but de faire des économies.

Autrement dit, au moment où l’on parle d’enjeu « historique » et où la « co-hésion » entre pays de la Communauté européenne va être de plus en plus fragilisée par de grands écarts de développement et par la récession mondiale, c’est l’austérité budgétaire (côté social, mais pas côté militaire !) qui continue à prédo-miner.

Qu’est-ce qu’une « solidarité » réduite à un droit de vote, avec de moins en moins de fonds d’aide et une politique libérale qui poursuit le démantèlement des protections sociales ? Quelle cohésion aura cette Union, construite en fait autour des choix de la Banque centrale et des marchés financiers ? En fait, cette « construction » fuit de toute part et elle révèle de plus en plus son inefficacité.



Quelle alternative ?



Nous pouvons renverser l’ordre et la nature des débats : d’abord, quels choix de sociétés voulons-nous ? quelles solidarités et quelles conditions de paix et de sécurité sur le continent souhaitons-nous ? et ensuite seulement, quels moyens institutionnels et financiers pour les réaliser – en prenant l’argent où il se trouve – seront les plus efficaces ?

La Convention qui se réunit actuellement pour préparer une constitution a au moins le mérite de légitimer ces questionne-ments. Mais elle n’a ni le pouvoir, ni d’ailleurs l’envergure démocratique per-mettant de véritables consultations et choix populaires. La future Conférence intergouvernementale décidera d’ailleurs ce que bon lui semblera, quelles que soient les propositions de la Convention. Sa logique sera d’élaborer à huis clos une constitution légitimant le nouvel ordre libéral des contrats au détriment des lois, du droit de la concurrence primant sur les droits humains, individuels et collectifs. Sans rapports de forces externes, il n’y aura pas d’infléchissement de cette logique.

Il n’y a pas de réponse toute faite, surtout à court terme. Mais au moins sachons exprimer les enjeux :

- l’intérêt commun des peuples de l’Eu-rope au sens large est la paix sur ce continent, une sécurité passant par l’arrêt des politiques creusant les écarts de dévelop-pement et aggravant la pauvreté. Il est urgent qu’émerge un contre-modèle, point d’appui des résistances à la mondialisation libérale et militaire ;

- une telle alternative ne s’imposera pas d’elle-même, elle relève du développement de moyens de luttes et de réflexion com-munes associant la grande masse des populations concernées. Il nous faudra passer, comme au plan mondial, de la globalisation des résistances (européennes) à l’élaboration de projets alternatifs auxquels les forums sociaux doivent contribuer.

Les thèmes qui mobilisent d’ores et déjà les mouvements alter-mondialistes contre l’OMC et le FMI peuvent trouver des relais particuliers de luttes à l’échelle européenne :

- pour une détermination démocratique des services publics dits « d’intérêt com-mun » et leur protection contre le droit de la concurrence ;

- pour la mise en place et le développement de fonds publics communs basés sur une fiscalité européenne finançant des transports publics respectueux de l’environnement ; la protection de la diversité culturelle et linguistique ; la protection de la santé pour tous notamment par une agriculture de qualité ;

- pour des fonds de solidarité avec les peuples du Sud, notamment appuyés sur une taxe Tobin ;

- pour un arrêt de la précarisation du travail et du dumping des salaires : extension des droits syndicaux continentaux, des droits des comités d’entreprises dans les multinationales, des droits d’organisation des chômeurs, des précaires, des femmes ; négociations de conventions collectives de branches au plan européen ; pour des minima sociaux en proportion du PIB moyen de chaque pays…



L’Union européenne est souvent vue de l’extérieur comme une alternative au « modèle » libéral anglo-saxon et à la toute puissance des Etats-Unis. Ce n’est pas la réalité. Mais il est possible de s’emparer de cette construction politique instable en quête de légitimité pour y renforcer le rôle des élus en même temps que le contrôle sur les élus. Il est possible de s’emparer des impasses budgétaires produites par la récession et l’élargissement pour mettre à plat les choix de société et de solidarité derrière les budgets, qu’ils soient municipaux, nationaux ou européens. Il est possible de s’emparer de la prétention de l’UE a avoir une politique extérieure et de sécurité commune pour discuter des com-portements et choix pris en nos noms par nos gouvernants dans l’OMC, le FMI ou l’ONU, pour mettre à plat le bilan de l’extension de l’OTAN et des choix militaires prévalant sur les budgets sociaux. Nous devons favoriser la possibilité de choix différents, imposer ensemble la transparence sur les bilans et nous emparer des contradictions de l’actuelle construction européenne pour soulever – en étant membre ou pas de l’UE – les enjeux démocratiques, sociaux et politiques d’une autre Europe sociale et anti-militariste, et pour établir d’autres relations internationales.


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