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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
par Toni Negri
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Post scriptum à "Stratégies possibles…"


Pour approfondir toute l’argumentation développée jusqu’ici et donner plus de force à ses conclusions (l’Europe politique unie ne devra pas tant être une nouvelle figure de la souveraineté qu’une « machine de guerre » en vue de l’extension des nouveaux droits fondamentaux aux sujets de l’Empire), il vaut la peine d’ajouter quelques réflexions sur le modèle européen de solidarité sociale ou sur le rapport qui se noue, dans la tradition et à l’avenir, entre le droit du travail et la constitution européenne.

Pour traiter de ce thème, je pense que nous devrons, avant tout, nous rappeler à quel point la référence à un modèle européen de solidarité sociale est ambiguë. C’est un modèle qui a trouvé son origine dans l’Obrigkeitstaat bismarckien et le sociologisme rouge de la troisième République et il s’est toujours caractérisé par la forme de la subordination – du point de vue juridique, par le calcul du coût de reproduction de la forme travail (du salaire différé) – du point de vue économique, et a toujours été pensé en relation avec la paix sociale et la consolidation de l’autorité étatique – du point de vue politique. Et il s’est souvent traduit par une solidarité impérialiste ou guerrière… Les Instituts Nationaux pour la Providence Sociale ont financé une grande partie des guerres du XXe siècle. Dans celles-ci, la discipline biopolitique de l’État-nation, qui s’achève dans le national-socialisme, a été exaltée.

Ceci dit, il reste encore à ajouter que le modèle européen du Welfare et le droit du travail qui lui est propre se sont fait ensemble l’écho des mouvements antagonistes de la force de travail.

C’est sur la base des luttes des travailleurs que le Welfare et le droit du travail se sont conjointement émancipé des déterminations corporatistes, populistes, colonialistes, impérialistes qui les avaient traversés.

Et ainsi nous sommes parvenus à un moment, entre les années 1960 et 1970, où nous avons nourri l’illusion que le modèle européen s’était libéré de ses conditions initiales, que Sinzheimer avait donc vaincu et que l’ambiguïté du modèle européen de solidarité pouvait définitivement se fonder sur – et nourrir – la démocratie.

Il n’en a pas été ainsi…

À partir des années 1970, les conquêtes démocratiques du Welfare européen ont fait l’objet de l’opposition du néolibéralisme et leurs effets ont souvent été neutralisés. Les méthodes de la répression ont mis fin à des forces auparavant irrésistibles et les ont soumises à la surdétermination du marché global, politiquement reconnu comme puissance autonome.

D’autre part, l’activité du droit du travail « à l’européenne » a été fort dérangée, quand elle n’a pas été victime de ses propres présupposés. En effet, alors que son progrès était de nature conflictuelle, lié aux luttes d’un sujet, la force de travail (qui avait obtenu une reconnaissance constitutionnelle), ce sujet (le syndicat) n’était pas seulement attaqué en tant que figure institutionnelle, représentative, mais on lui soustrayait en outre ses conditions d’existence. Nous appelons postfordisme la situation dans laquelle le substrat ontologique (la classe ouvrière) et la figure politique (le syndicat) du conflit industriel n’existent plus comme acteur central.

Quel sens y a-t-il encore, dans l’ère postfordiste, à parler d’un modèle (d’une tradition) européen de solidarité sociale alors que (sans insister sur les différences, mais en supposant qu’il y a homogénéité), les conditions mêmes de la continuité ne semblent plus données ?

Que signifie la réactualisation ou la réinvention d’un droit du travail à l’échelle continentale, en l’absence d’un sujet conflictuel fort, dans un contexte où se sont désormais définitivement établies la flexibilité et la mobilité de la force de travail productive ?

Et dans la globalisation des marchés, quel sens y a-t-il à rapprocher la Labour Law de la Constitution européenne ? J’ai parfois l’impression qu’on devrait faire comme Roosevelt au début du New Deal : imposer par décret un nouveau sujet syndical pour permettre la mise en place d’un nouveau Welfare. Mais comment imaginer aujourd’hui un tel projet ?

Pour accroître la difficulté à donner une réponse à ces questions, surgit un autre thème/problème : celui de l’immigration.

Dans les conditions qu’impose la globalité des marchés, ce problème – il est bon de le préciser – ne « s’ajoute » pas à celui de la régulation (juridique ou politique) de la force de travail indigène : il lui est, au contraire, « consubstantiel »

- soit du point de vue de l’économie industrielle (disponibilité indéfinie et coût quasi nul du travail)

- soit du point de vue des politiques budgétaires (relatives aux retraites, à l’assistance, à l’éducation et à la formation, sociales en général…).

Il serait intéressant ici de faire référence à, et en même temps, de forcer, la catégorie de « frontière » que Balibar – dans ses écrits les plus récents – considère comme étant désormais plus large que celle d’État-nation. Et cependant penser à nouveaux frais le concept actuel de citoyenneté, immobilisé dans des espaces désormais dérisoires en regard de la vie de tout homme et du besoin de chacun de travailler…

De là deux autres questions, auxquelles nous sommes confrontés à partir du problème de l’immigration, mais qui ne sont pas simplement pertinentes dans cette perspective. Comment se configure le contrôle biopolitique sur la force de travail postfordiste, mobile et flexible, indigène ou nomade ? Telle est la première question. Comment un droit du travail (à l’échelle européenne) pourra constituer une exception (à l’échelle globale) au contrôle biopolitique et à la hiérarchisation impériale de la force de travail ? Telle est la seconde

question.

Toni Negri

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