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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°44 [avril 2003 - mai 2003]
par Jacques Guilhaumou
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La marche des femmes dans les cités


Mère Duchesne : Quoique je sois peu lettrée, je ne manque pas cependant de tête en matière de politique. Il m’échappe quelquefois des réflexions qui ne sont pas chiennes, qui feraient honneur même à un législateur. Mon langage s’ennoblit, mes idées s’élèvent, mon génie s’agrandit depuis que je participe au mouvement des filles de banlieues.



Père Duchesne : Voilà les Françaises des Cités, voilà leur caractère décidé. Quels fagots des jean-foutres osent-ils débiter sur votre compte, braves citoyennes ? Ces mecs traitent de pétasses les filles qui fréquentent des garçons et participent aux conversations, ils les considèrent comme des salopes. Tonnerre de dieu, nous mettrons à la raison ces égoïstes infâmes ! Vois, ma Jacqueline, ces jean-foutres qui regardent les filles comme des zéros, ils vont avoir bientôt la mine allongée. Il n’y a plus à reculer, ils sont au pied du mur.

Mère Duchesne : Oui, quelle satisfaction pour moi quand je vois mon sexe lutter de courage et d’intrépidité. Non, foutre, les filles de banlieues ne sont point ce que les mecs en pensent ; elles ne sont pas reléguées à la maison. Désormais, elles font éclater la vérité.



Père Duchesne : Oui, il faut en finir. La misère est à son comble. Homme, es-tu capable d’être juste ? Vous qui avez bâti la démocratie, législateurs, vous n’avez rien fait en élevant cet édifice, s’il ne devient pas celui de l’égalité des sexes. C’est ma Jacqueline qui vous en fait la question après avoir lu Olympe de Gouges nous rappelant que l’oubli et les mépris des droits de la femme sont une des causes de la misère dans la Cité. Mais que disent et que font donc ces filles de banlieues qui marchent dans tous les départements avec la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne à la main pour purger la République de l’oppression masculine. Mère Duchesne, rappelle-moi ton histoire.



Mère Duchesne : Je ne voulais pas rester les bras croisés pendant la mêlée. Je voulais pouvoir parler d’après ma conscience. Me voilà donc d’abord, en 2001, dans une commission de Femmes des Quartiers, avec l’idée de susciter le débat parmi les filles de la Cité, afin de ne plus se laisser mener comme des buses. Et voilà que nous avons retrouvé la tradition des citoyennes de 1789 en tenant des Etats généraux locaux des Femmes de quartiers tout au long de l’année. En même temps, une Commission Nationale « Fem-mes des Quartiers » s’est réunie. J’en étais. Un questionnaire a été réalisé pour recenser toutes les demandes des femmes. Il a servi de moyen pour faire remonter des informations sur le public des femmes des quartiers et au-delà. Tout ce travail est dans le « Livre Blanc des Femmes des Quartiers » dont le contenu nous dit ce qu’il en est de la réalité dans laquelle vivent les femmes des quartiers, avec toutes sortes de bonnes paroles qui donnent des vapeurs aux beaux esprits masculins.

Puis, en 2002, me voilà aux Etats généraux de la Sorbonne, ce temple de la vérité, avec plus de 250 femmes. Fadéla Amara, la présidente de la Fédération des Maisons des Potes est intervenue sur la difficulté à se faire entendre des jeunes dans la Cité. Elle n’est pas de ces jaseurs sempiternels qui pérorent… pérorent à perte de vue une fois à la tribune. Chat échaudé craint l’eau froide. Elle se contente de nous dire de grandes vérités, elle dénonce l’oppression sociale des bougres qui font la guerre aux femmes en les enfermant dans des ghettos. Pour prendre la parole en notre nom à toutes, elle propose de lancer un appel pour que, dans chaque cité de France, nos sœurs, nos mères entendent leur cri de liberté et rejoignent notre combat pour mieux vivre dans les quartiers. Cette pétition intitulée « Ni putes, ni soumises », je l’ai signée ; elle a recueilli plus de 15 000 signatures. Pour prouver comme elle est au pas, j’en rappelle le début :

« Nous, femmes vivant dans les quartiers de banlieues, issues de toutes origines, croyantes ou non, lançons cet appel pour nos droits à la liberté et à l’émancipation. Oppressées socialement par une société qui nous enferme dans les ghettos où s’accumulent misère et exclusion. Étouffées par le machisme des hommes de nos quartiers qui, au nom d’une tradition, nient nos droits les plus élémentaires. Nous affirmons ici réunies pour les premiers Etats Généraux des Femmes des Quartiers, notre volonté de conquérir nos droits, notre liberté, notre féminité. Nous refusons d’être contraintes au faux choix, d’être soumises au carcan des traditions ou de vendre notre corps à la société marchande. »



Père Duchesne : Voilà une belle profession de foi ! Quand vous vouliez parler, on vous fermait la bouche en vous disant que vous raisonniez comme une foutue bête sans morale, libre de ses relations sexuelles. Maintenant vous allez donner le coup de grâce à l’oppression masculine, et le Père Duchesne ne sera pas le dernier de la fête ! Les hommes vont-ils enfin changer leur batterie ?!!



Mère Duchesne : Oui, les hommes vont devoir faire contre fortune bon cœur. Face à un tel succès, la décision a été prise d’organiser la marche des femmes « contre les ghettos et pour l’égalité ». Adieu Père Duchesne, je te quitte quelque temps pour faire triompher nos droits. Les « soldates » vont mener le combat.



Père Duchesne : il faut un journaliste de mon acabit pour parler d’un tel événement. Je ne sais, foutre, si la force me manque, mais je me sens le courage de cribler les jean-foutres avec l’aide de ces braves citoyennes. L’estime des véritables républicaines m’a toujours paru préférable à tout l’or de l’univers. Ah, ça me scie le dos de voir ces jean-foutres qui continuent à avoir des attitudes virilistes, mais la prise de conscience a commencé. Patience, on n’a pas fait Paris dans un jour. Tout cela me chatouille le cœur





Lettre de la Mère Duchesne

au Père Duchesne



Rennes, le 3 février 2003



Ah ! Père Duchesne, quel beau jour, foutre, que celui où la Marche s’est élancée ! Quel spectacle que celui de notre première réunion ! Nous étions le 1er février une dizaine de marcheurs présents à la cité Balzac à Vitry-sur-Seine, là où Sohane, 17 ans, a été brûlée vive dans un local à poubelles : elle est devenue notre symbole à toutes. Entourée d’anonymes, de militants associatifs, d’élus, tous venus pour encourager notre action, Fadéla Amara prend la parole, avec beaucoup d’émotion, sous une banderole qui reprend l’intitulé de la marche. Kahina, la sœur aînée de Sohane, emboîte le pas : elle attrape à la gorge la foule réunie pour cet hommage.

Nous voilà à Rennes le 3 février. Après avoir rencontré des élus, des membres d’associations et des gens du voyage, nous entrons dans un grand centre commercial. Ce qui nous indigne, c’est de voir qu’à Rennes se multiplient les demandes de faux certificats de virginité. Alors nous interpellons les gens par des panneaux « Le mythe de la Virginité, symbole d’oppression. Laissez-nous choisir ». Du mimosa a été distribué aux signataires afin qu’ils apportent leur soutien à notre marche.

Pourquoi je suis au côté de Fatiha, Loubna, Safia, Christelle, Ingrid, Farid, Olivier, Kahina, Samira et des autres ? Pourquoi nous marchons ? De plus en plus nombreux, de plus en plus déterminés, nous refusons les coups de chien des plus forts et la loi du silence qui s’en suit. Nous ne voulons plus nous laisser mener, comme des enfants, par des jean-foutres organisés en bandes mafieuses, des intégristes de tous bords et des foutriquets de l’extrême droite qui sont devenus leurs larrons sur la question des femmes.

Pendant plus d’un mois, nous allons parcourir les cités de plusieurs villes pour susciter une prise de conscience féministe, propager le flambeau de la vérité dans des quartiers où n’ont jamais pénétré les esprits et les cœurs. Enfin nous achèverons notre tour de France à Paris le 8 mars, avec la journée des femmes. Que vive ainsi la tradition civique des « missionnaires patriotes » de 1792 qui sillonnaient la France par leurs « courses civiques » dans le but de propager la vérité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen !



Ta Jacqueline



Jacques Guilhaumou*

Historien.

N.B. Ce texte fictionnel est écrit dans la tradition des Père Duchesne, en appui sur les faits et les propos relatés dans le site www.macité.net
Jacques Guilhaumou

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